Les bases légales de l'absinthe et leur origine.

Absinthe: la réalité au-delà du mythe

Les articles de journaux foisonnent et les pages consacrées à cette boisson sur le Net ne se comptent plus. L'absinthe, dernière boisson à la mode, est servie dans les bars les plus chics de Londres et de Prague. Vouée aux gémonies en tant que boisson diabolique ou portée aux nues en tant que Fée verte, mémoire vivante du Val-de-Travers, la boisson a pris un goût d'immortalité. communica n'a nullement l'intention de revivifier le mythe. Le présent article a pour seul but d'éclairer la situation actuelle. Celle-ci ne saurait toutefois se comprendre sans retour sur un passé déjà fort lointain.

A en croire le Dictionnaire historique de la Suisse, les origines de l'absinthe ne sont pas certifiées. La recette a sans doute été inventée à Couvet (NE) vers la fin du 18e siècle par Henriette Henriod. Elle s'est rapidement développée pour devenir une boisson culte sur le plan européen. Nous laisserons de côté cette évolution (une abondante littérature en fait mention dont on retrouvera quelques éléments dans la notice bibliographique annexée) pour nous consacrer à la situation en Suisse.

Un crime met la démocratie en branle

Le 28 août 1905, à Commugny (VD), Jean Lanfray abattait femme et enfants dans une crise de délire. Son alcoolisation était due, entre autres, à l'absinthe. Ce fait divers a conduit le Grand Conseil du canton de Vaud a promulguer le 15 mai 1906 une loi interdisant l'absinthe. Son préambule stipulait notamment que la vente au détail de la liqueur dénommée « absinthe » était prohibée. L'interdiction s'étendait aussi à toute imitation ou boisson semblable quel qu'en soit le nom. Cette loi a été immédiatement attaquée par des opposants qui la jugeaient anticonstitutionnelle. Cependant, le verdict populaire donna raison au législateur.

Dans le sillage de la décision vaudoise, une interdiction similaire de l'absinthe fut également votée par le peuple un an plus tard dans le canton de Genève.
Sur le plan fédéral, un comité d’initiative contre l’absinthe se forma en 1906. Etant donné qu’une initiative populaire permet d’amender seulement la Constitution et non des lois, un nouvel article devait être ancré dans la Constitution. L’initiative fut signée par 167 814 citoyens. Le 5 juillet 1908, tous les Etats, à l’exception de Neuchâtel et de Genève, acceptèrent l’initiative par 241 078 oui contre 138 669 non et une participation au scrutin de 49 %. La loi sur l’absinthe, fondée sur la base de l’article 32ter de la Constitution fédérale. est entrée en vigueur le 7 octobre 1910.

Cet article portant sur l’interdiction de l’absinthe a été abrogé le 1er janvier 2000 dans le cadre de la révision de la Constitution. Ce genre de « détail » doit être réglé au niveau d’une loi et non d’un texte fondamental. L’interdiction de l’absinthe reste toutefois inscrite dans la loi et l’ordonnance sur les denrées alimentaires.

Quel est l’office fédéral compétent ?

Beaucoup de personnes s’étonnent que l’interdiction de l’absinthe figure dans la législation sur les denrées alimentaires et non dans la loi sur l’alcool. En raison de cette filiation, c’est bien l‘Office fédéral de la santé publique (OFSP) et les chimistes cantonaux qui sont compétents en la matière et non la Régie fédérale des alcools (RFA). La Régie n’intervient qu’indirectement dans les affaires d’absinthe lorsque:

Définition de l'absinthe

Tous les produits alimentaires et les produits d'agrément sont définis dans l'ordonnance sur les denrées alimentaires. Cela concerne aussi bien les pâtes, les œufs, que les boissons alcoolisées ou non. C'est ainsi que l'on trouve la définition de l'absinthe à l'article 433.
L'ordonnance sur les denrées alimentaire est constamment révisée.

Les termes exacts de la loi …

Recueil systématique du droit fédéral RS 817.0
Loi fédérale du 9 octobre1992 sur les denrées alimentaires et les objets usuels
(Loi sur les denrées alimentaires, LDAI)
Article 11, Interdiction de l'absinthe
Le Conseil fédéral détermine quelles boissons sont considérées comme absinthe ou imitations de l'absinthe.
Article 47,al.1d Délits
Sera puni de l'emprisonnement ou de l'amende quiconque aura, intentionnellement:
fabriqué, importé, transporté, vendu, aidé à écouler ou encore acquis ou entreposé en vue de la vente des boissons à base d'absinthe ou des imitations de l'absinthe.

… et de l'ordonnance...

RS 817.02
Ordonnance du 1er mars 1995 sur les denrées alimentaires (ODAI)
Chapitre 40 Interdiction de l'absinthe

Art. 433
1 La fabrication, l’importation, le transport et la vente d’absinthe ou d’imitations de l’absinthe, de même que leur détention en vue de la vente sont interdites.

2 Est réputée absinthe toute boisson spiritueuse qui contient de la thuyone et des composants aromatiques de la plante absinthe combinés avec d’autres substances aromatiques telles que l’anis, le fenouil et d’autres substances aromatiques semblables, qui présente l’odeur de l’anis ou du fenouil et qui louchit lorsqu’on l’additionne d’eau.

3 Est réputée imitation de l’absinthe toute boisson alcoolique aromatisée avec de l’anis, du fenouil ou d’autres substances aromatiques semblables:

a. qui louchit lorsqu’on l’additionne de 14 parties d’eau distillée à 20° C, sans que la turbidité disparaisse complètement après une nouvelle addition de 16 parties d’eau distillée à 20° C; ou

b. qui a une teneur en alcool éthylique supérieure à 45 % volume.

… et l'ordonnance sur les additifs

RS 817.021.22
Ordonnance sur les additifs admis dans les denrées alimentaires (O sur les additifs, Oadd)
Annexe 4, Teneurs maximales en certaines substances présentes dans les denrées alimentaires prêtes à la consommation et dans lesquelles des arômes ont été utilisés.

Thuyone (alpha et bêta)

5 mg/kg dans les boissons alcooliques titrant jusqu'à 25 % d'alcool en volume, 10 mg/kg dans les boissons alcooliques titrant plus de 25 % d'alcool en volume, 25 mg/kg dans les denrées alimentaires contenant des préparations à base de sauge; 35 mg/kg dans les amers.

La législation européenne

La directive 88/388/CEE du Conseil, du 22 juin 1988, prévoit des quantités résiduelles maximales pour certaines substances indésirables qui, de par l’emploi d’arômes, peuvent être contenues dans certaines denrées alimentaires. Ainsi pour les boissons alcoolisées titrant plus de 25 % vol d’alcool, il est admis une teneur en thuyone de 10 mg/kg. Pour les bitters, cette teneur limite autorisée s’élève à 35 mg/kg. Mais il est interdit d’incorporer directement de la thuyone aux denrées alimentaires et aux arômes en tant qu’additif. La thuyone qu’elle apparaisse naturellement ou à la suite d’adjonction d’arômes, n’est pas tolérée dans les denrées alimentaires élaborées à partir de matières premières naturelles.

Les Etats membres renvoient à cette directive. Il est dès lors impossible de donner ici un aperçu général de son application dans les différents Etats de l’Union européenne.

La production clandestine tient plus du mythe que de la réalité

En dépit de l’interdiction, la production clandestine d’absinthe en Suisse n’a jamais totalement cessé. A l’heure actuelle, on peut toutefois affirmer que la production d’absinthe dans l’arc jurassien représente des quantités infimes. En cas d’indices, les inspecteurs de la Régie fédérale des alcools entreprennent des recherches. Si ces indices semblent fondés, annonce en est faite au chimiste cantonal qui est légalement tenu de suivre l’affaire. Si de l’absinthe a été produite, la totalité de la production est illégale, même si l’alcool employé a été imposé.

Les analyses chimiques du laboratoire de la RFA montrent que les quantités maximales admises de thuyone dans l’ordonnance sur les additifs ne sont pratiquement jamais dépassées dans les échantillons provenant de la production clandestine. Ces spiritueux sont néanmoins illégaux du fait qu’il portent le nom d’absinthe et que leur teneur alcoolique dépasse 45% du volume.

« L’absinthe est en vente libre! » .Ce titre d'un quotidien romand a provoqué passablement de remous à la fin de l'année dernière. De nombreuses personnes ont cru comprendre que la législation avait changé. Il n'en est rien. Le chimiste cantonal ayant confirmé sur la base des échantillons que les valeurs limites de la législation sur les denrées alimentaires n'étaient pas dépassées, la RFA a donné une autorisation de distiller pour le produit en question.

L'absinthe ou armoise

La plante

Artemisia absinthium L. est son nom botanique latin. Il dérive du nom de la déesse grecque de la chasse Artemis. En grec, absinthos veut dire repoussant, une allusion directe au goût amer de la plante.

L'absinthe est une plante vivace qui peut atteindre une hauteur de un mètre et demi. Sa tige ainsi que certaines parties des feuilles sont recouvertes de légers poils. Ses feuilles finement ciselées sont argentées et ses fleurs sont des capitules d'or. Pérenne, la plante peut vivre une dizaine d'années. De forte senteur, son goût est naturellement amer. On récolte les pousses d'une longueur de 50 centimètres que l'on fait ensuite sécher à l'air.

La plante contient des substances amères et des huiles essentielles contenant de la thuyone. C'est surtout la forte concentration de thuyone qui rend la plante toxique. La plupart des Etats occidentaux ont dès lors limité son emploi.

Formule chimique de la thuyone

On distingue la thuyone alpha et la thuyone bêta . C'est surtout la thuyone bêta que l'on retrouve dans les extraits d'absinthe. La notice bibliographique renvoie le lecteur intéressé à des ouvrages détaillés.

Effets toxiques et psychotropes

Suite à une motion déposée au Conseil national, une expertise sur la dangerosité de l'absinthe et de l'alcool pour le système nerveux central a été réalisée en 1994 à la demande de l'Institut suisse de prévention de l'alcoolisme et autres toxicomanies (ISPA).

Bien que la RFA, comme nous venons de l'évoquer, ne soit compétente que pour deux éléments au niveau fédéral (octroi de l'autorisation de distiller et contrôle de l'imposition de l'alcool employé), vous trouverez cette expertise sur le site Internet de la RFA. Nous serions heureux de vous y accueillir. http://www.eav.admin.ch

Aperçu de la littérature et de pages Internet

Cette page du 9 avril 2002 se trouvait à l'adresse http://www.eav.admin.ch/f/n_mythos.htm. Elle a été reprise du site de la
Régie fédérale des alcools, Länggassstrasse 31, CH-3000 Berne 9
Tel. 0041 (0)31 309 12 11, Fax 0041 (0)31 309 15 00, E-Mail: EAV.INFO.
Les résultats des votations sur l'Initiative populaire 'Interdiction de l'absinthe et revision correspondante de l'article 31b', nouvel article 32bis sont cachés sous le titre de l'objet voté le 5 juillet 1908 (les Neuchâtelois et Genevois devaient se sentir bien seuls).